Jean-Bernard Marquette, Professeur émérite de l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux III.
 

 

Perception et structuration de l’espace d’après le Livre rouge

 

Les cartulaires des abbayes et prieurés constituent une source privilégiée si l’on s’intéresse à la géographie historique et à l’histoire de l’occupation du sol et du peuplement.

Bien qu’il soit en grande partie constitué de notices, le Livre rouge nous permet de voir de quelle manière étaient alors perçus paysage et habitat. Mais il nous renseigne aussi sur la structuration de l’espace du point de vue foncier, juridictionnel et ecclésiastique.

Les limites du diocèse de Dax à la fin du xiie siècle nous sont bien connues grâce au récit des conflits qui opposèrent les évêques de Dax à ceux d’Oloron et de Bazas dans la seconde moitié du xie siècle et au début du siècle suivant, mais aussi grâce à la liste des églises du diocèse aux environs de 1180 (acte n° 174). Il s’agit d’un document exceptionnel qui énumère, avec leur dédicace, toutes les églises du diocèse ; elles sont au nombre de 300, dont 74 inédites. Les églises sont présentées dans le cadre de 21 itinéraires qui se succèdent de l’Adour au Gave, puis du Gave aux Pyrénées, enfin sur la rive droite de l’Adour, des bords des Leyres à celui du fleuve. Il est ainsi possible de savoir de manière relativement précise où se trouvaient des églises aujourd’hui disparues. Nous avons donc cartographié ces itinéraires puis, dans un second temps, entrepris une triple démarche pour savoir s’il existait des relations entre leur tracé, la géographie des quatre archidiaconés établis au début du xiie siècle, celle des 15 archiprêtrés mis en place au siècle suivant, ainsi qu’avec les seigneuries et juridictions qui se partageaient le diocèse (vicomtés de Dax, de Tartas et de Béarn, terres navarraises et directe ducale). La géographie ecclésiastique a tenu compte, on le verra, de facteurs géographiques et politiques.

Le caractère presque exhaustif de la liste des églises permet d’esquisser avec des nuances un tableau du réseau paroissial à la fin du xiie siècle, il incite à suivre l’évolution de ce réseau jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et même jusqu’aux communes actuelles, et permet d’engager une réflexion sur la manière dont il fut progressivement mis en place au cours des six siècles précédents. Il conviendra donc d’établir pour chaque paroisse une fiche d’identité prenant en compte la localisation des églises, l’archéologie du monument, les limites du territoire paroissial, en faisant appel, bien sûr, à toutes les sources médiévales — en particulier le cartulaire de Sorde — et à celles de l‘époque moderne. Mais il est déjà possible, à partir des informations fournies par le cartulaire, d’esquisser un premier tableau de ce réseau vers 1200 et un autre de son évolution ultérieure.

- Ce qui frappe, tout d’abord, c’est l’inégale densité des églises et donc les dimensions variables des territoires paroissiaux. On passe ainsi successivement de secteurs où l’on trouve une église pour 500 ha (entre Midouze et Adour, en Auribat et Mixe), puis de 600 à 1000 ha (du Louts au Luy et en Béarn), à 1200-1650 ha (pays d’0rthe, rives du Gave et de l’Adour), pour atteindre 2200-2500 ha (Brassenx, Maremne, Gosse et Seignanx) et de 4000 à plus de 7000 ha en moyenne dans la Lande. La qualité des sols, l’héritage antique, les structures de l’habitat, les modes de vie des sociétés rurales, l’histoire foncière rendent compte d’une situation qui parfois dure encore aujourd’hui.

- En second lieu, il est possible de dresser un tableau des dédicaces des églises. Quatre titres prédominent : Martin, Pierre, Marie et Jean-Baptiste, qui représentent 60% du total. Cette typologie ne présente rien d’exceptionnel par rapport à ce que l’on trouve dans les diocèses voisins, même si le pourcentage est particulièrement élevé. Le catalogue des autres vocables est lui aussi sans grande originalité. C’est un constat essentiel dont il faudra tenir compte lorsqu’on se penchera sur la christianisation du diocèse.

- Enfin, le cartulaire nous fait assister à la naissance de certaines paroisses ou à des tentatives restées sans lendemain. Même si les conclusions auxquelles nous sommes parvenu devront être affinées, en 6 siècles — de 1180 à 1790 —, 60 églises ont disparu (20 %), 30 paroisses ont changé de nom à la suite d’une restructuration de l'habitat (10 %), mais 10 paroisses nouvelles sont apparues. Il s’agit là d’une première étape d’une évolution qui a abouti au réseau communal d’aujourd’hui.

 


 

 

SOMMAIRE du Colloque

 

LE LIVRE ROUGE

Présentation du Livre rouge de la cathédrale de Dax -  Georges PON
Entre la règle et le siècle : les chanoines de Dax -  Fabrice Ryckebusch
Le statut de paix et la trêve de Dieu dans le Livre rouge -
 Frédéric Boutoulle,
L’image des laïcs dans le Livre rouge -  Benoît Cursente,
L’onomastique basque dans le Livre rouge Jean-Baptiste Orpustan