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Le Beatus de Saint-Sever

Caractère exceptionnel de l’œuvre

Par ses caractéristiques propres, mais aussi par le fait qu’il a été réalisé au nord des Pyrénées et qu’il est le seul Beatus dans ce cas, le manuscrit de Saint-Sever occupe une place exceptionnelle à la fois dans l’ensemble de la collection, et dans la production française de ce temps.

1. À cette époque en effet, même les manuscrits ottoniens - le plus souvent des évangéliaires - qui sont pourtant de merveilleux objets d’art généralement liés à l’entourage impérial, n’atteignent jamais une richesse picturale comparable. Quant aux manuscrits à peintures français, ils sont alors rares et ne comptent qu’un nombre d’images relativement peu élevé : douze, vers 1100, pour le fameux Sacramentaire de Saint-étienne de Limoges, alors que le manuscrit de Saint-Sever possède 108 images, dont 84 historiées, et parmi elles, 73 en pleine page et 5 sur deux pages, mais également 22 demi-pages et 8 vignettes de format plus réduit – végétaux, animaux, ou même anecdotes

Le Sixième ange répand sa coupe dans le fleuve Euphrate (Ap. 16, 12).
 Deux barbons se disputent les faveurs d’une belle (fol. 184).

2. Selon François Avril, ces images sont dues au moins à 4 artistes différents, œuvrant sous la direction de l’un d’entre eux, Stephanus Garsia Placidus (fol. 6).


Apparition du Christ dans les nuées (Beatus de Silos, fol. 21).

Apparition du Christ dans les nuées (Ap. 1, 7-9, fol. 29).

 

3. Peter K. Klein a montré la diversité des rapprochements, mais aussi les différences profondes que l’on peut établir entre l’iconographie et le style du Beatus de Saint-Sever et ceux de plusieurs branches « mozarabes » de la famille, alors que des parentés évidentes apparaissent avec des manuscrits non-hispaniques ; il en a conclu que le maître d’œuvre de cet exemplaire, « dont nos observations […] ont souligné la diversité et l’ampleur des connaissances iconographiques et bibliques, seul ce maître génial paraît avoir été capable d’une transformation et d’une innovation aussi profondes de l’iconographie traditionnelle des Beatus. Même sous cet aspect, le Beatus de Saint-Sever reste une œuvre exceptionnelle dans toute l’enluminure médiévale. »

4. Plusieurs scribes – peut-être les enlumineurs eux-mêmes - ont également participé à la copie du texte. Pour Jean Vezin, on doit à l’un d’entre eux – Stephanus Garsia ? - environ les deux tiers des folios, dont l’écriture demeure assez fidèle aux traditions wisigothiques ; une trentaine d’autres folios ont été transcrits par un second, et un petit nombre par plusieurs autres, qui tous utilisaient la minuscule caroline.

5. Yolanta Załuska a montré par une analyse de la répartition des écritures dans les cahiers de feuillets que ces divers scribes ont opéré simultanément en utilisant un modèle dont ils s’étaient réparti les feuillets. Il apparaît ainsi que l’abbaye de Saint-Sever a possédé au xie siècle un véritable scriptorium, un atelier de rédaction de manuscrits, dont l’activité a dû produire bien d’autres œuvres malheureusement disparues aujourd’hui.

6. En analysant la Mappemonde représentée sur les folios 54 bis v° - 54 ter, François de Dainville a souligné qu’alors que celles des autres manuscrits de la famille ne comptaient que 70 à 80 noms et celle de Burgo de Osma 120, celle de Saint-Sever n’en dénombre pas moins de 270 – de l’Europe à l’Afrique, à l’Inde et à la Chine -, et parmi eux, 50 pour la seule France, alors que les autres en ont moins de 10. En outre, ces noms ne désignent pas seulement des provinces, mais aussi des villes, des fleuves, des montagnes.

Ces diverses observations posent une question difficile : comment, vers le milieu du xie siècle, a-t-on pu créer à Saint-Sever une œuvre aussi somptueuse et témoignant d’une érudition aussi large ?

Tour et scriptorium de Tábara (Beatus de Tábara, fol. 167v°)

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